Baisse drastique des financements récurrents des laboratoires publics, compétition accrue entre équipes, laboratoires et instituts de recherche, méthodes managériales de gestion, évaluations technocratiques des scientifiques, envol de la précarité, enseignements universitaires de plus en plus tournés vers l’employabilité, pression accrue à la publication…
Les changements du système de recherche des dernières années n’ont rien d’anecdotiques. Ils sont au contraire porteurs d’une vision de la recherche, de son pilotage et de sa définition politique qui pose de nombreuses questions. À quels besoins la recherche publique doit-elle répondre ? Qui en décide ? Qu'est-ce que l'excellence scientifique, et quels critères permettent de la définir ? Comment faire émerger une expertise pluridisciplinaire et transparente ? Quelle responsabilité sociale et environnementale les chercheurs doivent-ils porter ? Comment se construisent les carrières scientifiques ? Quels partenariats de recherche, avec qui et sous quelles conditions ? La recherche publique relève-t-elle du bien commun ? Les résultats scientifiques doivent-ils être couverts par le sceau du secret (industriel ou militaire) ou verrouillés financièrement par le système des brevets ou doivent-ils être accessibles librement ? Quelles institutions et quels acteurs doivent démocratiquement définir et gérer les politiques de recherche et d’innovation ?
Cette loi amorce-t-elle des réponses à toutes ces questions ? Loin de là ! Comme pour le gouvernement précédent (et comme pour la Commission européenne dans le cadre du nouveau programme pluriannuel de recherche et innovation « Horizon 2020 »), il s’agit de mettre la recherche publique au service de la compétitivité économique, de la croissance et de « l’excellence », qui restent les mots d’ordre. Les citoyens et la société civile (non marchande) restent les grands absents et par conséquent les grands perdants du projet de loi.
Pourtant, la crise de la recherche n'est pas seulement un phénomène conjoncturel, limité aux coupes budgétaires et à la réorganisation. Elle correspond à la fois à une coupure plus profonde du rapport entre science et société (au sens large et au delà des seules grandes entreprises), et n’est, au même moment, qu'un miroir de l'évolution de notre société. Ce qui arrive aujourd'hui à la recherche – cette injonction pour du toujours plus grand et plus vite, générateur de profits immédiats – n’est rien d’autre qu’une transposition à la recherche d’une politique exclusivement consacrée à générer la sacro-sainte croissance. Pour préserver et développer la diversité de la recherche, redonner des marges de liberté aux chercheurs, il est crucial de repenser ses liens avec la société, ses objectifs et ses sources de légitimité tout en préservant une part à la recherche fondamentale estimée par les milieux économiques comme non rentable. En discuter et décider collectivement reste pour beaucoup un besoin démocratique vital.
En somme, il s’agit de repenser notre système de recherche et de refonder le rapport entre la recherche, la démocratie et la société autour d'un nouveau contrat social. Ceci nécessite une recherche publique forte et dotée de moyens accrus mais il s’agit aussi de transformer ses orientations, ses modes de décision, ses pratiques d’expertise. Par ailleurs, les besoins de recherche de la société incluent aussi et surtout la production de biens publics, un accès ouvert à une connaissance fiable et large, le développement d’une expertise plurielle et indépendante, le soutien des innovations à but non lucratif ou pour des besoins sociétaux non solvables. La société française en tant que telle (et particulièrement les plus démunis), mais aussi à travers ses rapports avec les autres pays, notamment du Sud, et à travers notre responsabilité commune pour l’avenir, n’a jamais eu autant besoin d’être accompagnée et d’accompagner les sciences, et pas seulement les innovations technoscientifiques.
Si un changement par rapport à la politique du gouvernement Sarkozy nous a été promis par le nouveau gouvernement socialiste, les signaux pour ce changement se font toujours attendre. La politique d’ESR initiée sous Mme Pécresse n’est pas remise en cause par le projet de loi de Mme Fioraso. Les quelques modifications introduites sont marginales et ne changent rien sur le fond.
Nous regrettons ce manque d’ambition du gouvernement de rompre avec la politique néolibérale pour enfin développer, avec toutes les composantes de la société, une autre logique pour la recherche publique.
Nous appelons nos député/e/s nationaux, élu/e/s régionaux et partis à être attentifs et ambitieux. Il ne s'agit pas de revenir à un état antérieur (d’ailleurs idéalisé), mais de sortir du
chemin tracé par l’idéologie néolibérale et d'inventer collectivement de nouvelles formes de démocratie, de fonctionnement, et d'enseignement pour notre système de recherche.
La question n'est pas de soutenir LA recherche mais QUELLE recherche ? La question n’est pas d’améliorer L’enseignement supérieur mais QUEL enseignement supérieur et avec quelles finalités ? Ces décisions auront des répercutions majeures pour l’ensemble de la société mais engagent également les générations futures.