Cependant, l’objet n’est pas de faire l’apologie de l’un ou l’autre produit, mais bien d’en étudier les possibles conséquences d’un point de vue théorique.
Que se passe-t-il si l’on arrive à empêcher les publicités d’apparaître sur un site et à les remplacer par un blanc ?
De prime abord, sans aucun doute, un sentiment mitigé, semblable à celui d’un enfant qui s’éveille un matin, après une nuit où la neige est tombé sans discontinuer et qu’il contemple un paysage enneigé : tout est blanc, tout semble propre et silencieux. Le terrain vague voisin que des générations successives d’automobilistes indélicats avaient réussi à transformer en immonde décharge offensant la vue paraît aussi pur et attractif qu’une cime aux neiges éternelles.
Jusque là, ça va. Bientôt les véhicules vont transformer ce blanc immaculé en boue salissante, et leurs pneumatiques vont faire des bruits disgracieux en roulant dans une mélasse de plus en plus visqueuse.
Mais ceci n’est que la surface. La neige fraîchement tombée va provoquer un ralentissement général. Les écoles vont fermer, au grand plaisir de l’enfant. Les transports en commun sont ralentis, et les parents arrivent en retard à leur travail. L’usine voisine va se trouver au chômage technique faute d’être livrée, le courrier n’est pas livré, l’électricité est coupée, voire le téléphone. Le livreur ne peut pas passer pour remplir la cuve à mazout et on se gèle. Bref, après quelques instants d’émerveillement parfaitement justifié, le ronronnement de la société s’enraye et l’on finit par regretter les bruits incessants de la rue et la vue des vieux pneus.
Pour internet, on peut imaginer qu’un phénomène identique risque de se produire.
Imaginons un instant que tous les internautes se munissent d’un outil ayant une efficacité absolue dans le nettoyage des publicités. Lorsque vous ouvrez un site, votre outil magique distingue le bon grain de l’ivraie et masque l’information non désirée sans se tromper.
La suite paraît simple : plus personne ne verra les annonces commerciales dont les portails sont aujourd’hui hérissés.
Certes, ces bannières aux couleurs criardes et au design parfois douteux rendent la lecture d’un site difficile aux seniors, mal préparés à un tel foisonnement d’information inutile et incapables, faute de l’entraînement adéquat, de discerner rapidement l’information essentielle d’une page affichée par leur navigateur. Pour ceux-ci, le blanc est un évident avantage.
Mais il n’en reste pas moins que le modèle actuel est basé sur la publicité, qui seule apporte à l’internet le nerf de la guerre économique. Ce ne sont pas les rares sites payants qui vont bousculer ce modèle.
Ce qui nous amène à imaginer la réaction des régies publicitaires dans un monde où l’add-on anti-publicitaire absolu prive l’utilisateur final de l’impact de leurs annonces. Pas de chalands, donc pas de pub. Pas de pubs, donc pas de rétribution des sites. Pas de rétribution des sites, alors pas de rêve de success-story basée sur un site à succès menant son créateur à l’eldorado. Que serait Google sans la publicité qu’il veut ciblée, mais qu’il vend d’autant plus cher que justement elle fait mouche à tous les coups ? Que deviendraient les plans du futur google phone, dont le modèle économique est justement basé sur la publicité qu’il va diffuser sur nos écrans ? Le prix payé pour l’achat de YouTube ne pourrait alors être amorti qu’après quelques dizaines de siècles.
Ainsi, après avoir essuyé la fameuse bulle internet et s’être plaint pendant des années de l’absence de modèle économique publicitaire en ligne pouvant payer pour des développements tels que les moteurs de recherche, les loisirs ou l’information, on voit clairement le danger de cet anti-pub théorique : un nouvel effondrement de la bulle internet… à moins que ?
A moins que quoi, en fait ?
Et bien, pour protéger leur juteux gagne pain, on peut également imaginer que les sites puissent à leur tour détecter l’internaute utilisant un tel stérilisateur, et par mesure de rétorsion lui interdire l’accès à l’information distribuée.
Ainsi, la boucle est bouclée : pas de pub, alors pas d’accès à mon site, et le navigateur, au lieu d’afficher un écran « purifié », affiche désormais un écran virginal. Les pubs sont nettoyées par l’add-on, le reste par le site lui-même : tu me caches mes pubs, alors je cache mon contenu.
Le seul moyen d’éviter cette étreinte fatale reste donc de s’assurer que l’internaute n’utilisera pas cet hypothétique anti-pub. Dans ce but, il conviendra que les publicités ne soient pas envahissantes au point d’occulter ou d’amoindrir l’impact du site, rendant sa lecture difficile. C’est un chemin difficile qui passe par l’éducation de tous, tant les internautes que les annonceurs ou les éditeurs de sites.
Pour un éditeur de site, il est difficile de résister au chant des sirènes de la publicité et de se priver de ses revenus tant attendus et espérés. Accepter plus de bannières pour générer plus de revenus n’a qu’un temps si l’internaute fatigué de scruter son écran décide de chercher ailleurs son information.
Pour un annonceur, le marché publicitaire sur internet semble une voie royale, tant ce média permet des campagnes mieux ciblées et donc plus efficaces.
Qui se souvient du temps où nos routes nationales voyaient fleurir des panneaux vantant le dentifrice qui vous faisait le sourire du toréador ou la qualité de la cuisinière en fonte au point d’occulter la vue des bords de route ? Aujourd’hui, cette croissance sauvage est contrôlée et un point d’équilibre est atteint. Trop de publicité tue l’effet publicitaire.