Le prétexte en a été fourni par la publication dans un journal suédois, le 17 août 2009, d'un article établissant abusivement un lien entre, d'une part, un trafic de reins démantelé aux Etats-Unis en juillet dernier et, d'autre part, des rumeurs malveillantes accusant l'armée israélienne de prélever secrètement des organes sur des cadavres de Palestiniens.
Le journaliste suédois Donald Boström, par qui la polémique est arrivée, a soutenu depuis lors que Tsahal se livrait au commerce d'organes depuis cinquante ans et que le nombre de Palestiniens ayant fait l'objet de vol d'organes dépassait le millier.
Ces accusations, Boström les avait déjà formulées dans un livre paru en 2001. Pourtant, deux jours après la publication de son article, il avait admis, sur les ondes de la radio Kol Israel, qu'il « n'avait aucune idée » ni « aucune preuve » de la véracité de ces accusations.
La famille et les proches d'un Palestinien dont la dépouille aurait, selon lui, fait l'objet d'un vol d'organes, ont également concédé qu'ils ignoraient si des organes avaient effectivement été prélevés.
« Alimenter la banque d'organes de l'entité sioniste »
Las, ces mises au point n'ont pas empêché le délire conspirationniste de se répandre, comme en témoigne la dénonciation récente, dans la presse algérienne, d'un vaste complot juif international ayant des ramifications jusqu'au Maghreb, où des enfants seraient kidnappés afin d'« alimenter la banque d'organes de l'entité sioniste ». Des « bandes juives » seraient même « actives dans plusieurs pays arabes ».
Le blockbuster turc La Vallée des loups-Irak, sorti en 2006, comporte ainsi une scène dans laquelle un médecin juif américain prélève les organes de victimes civiles irakiennes de la prison d'Abu Ghraïb pour les expédier à de riches clients occidentaux. En 2004, la télévision iranienne avait également diffusé un feuilleton dans lequel des Israéliens complotaient pour s'emparer des yeux d'enfants palestiniens.
S'inspirant directement d'une dépêche de l'Irna (l'Agence officielle de presse de la République islamique d'Iran) publiée sept ans plus tôt, deux sites extrémistes animés par l'ancien responsable d'un groupuscule néo-nazi, Vox-NR et Geostrategie.com, ont diffusé début août une information purement mensongère selon laquelle le ministre israélien de la Santé aurait reconnu, fin juillet 2009, que l'armée israélienne prélevait des organes sur des cadavres de Palestiniens.
Symptôme de l'époque, l'intox a eu le temps de se disséminer à travers toute la Toile sans que personne ne prenne la peine de la soumettre à examen.
La légende des « Tziganes voleurs d'enfants »
Les fables relatives aux vols d'organes ne visent pas que les Juifs, tant s'en faut. En France même, une rumeur persistante s'appuyant sur la légende des « Tziganes voleurs d'enfants » veut qu'un réseau mafieux roumain écume les rues de Marseille à la recherche de jeunes gens pour les dépecer.
Ces exemples montrent bien que le mythe contemporain accusant Israël de voler des organes n'est qu'un des avatars de la rumeur moyenâgeuse accusant les Juifs de s'adonner au « meurtre rituel ». Une rumeur qui a pris naissance en Europe, il y a plusieurs siècles, avant d'essaimer au Moyen-Orient où un best-seller publié en 1983, L'Azyme de Sion, présente les crimes rituels juifs comme une réalité historique.
Le renversement de la charge de la preuve est un procédé classique de la rhétorique conspirationniste dont la logique infernale consiste à considérer comme une preuve déterminante de sa culpabilité les réticences de l'accusé à réunir les preuves de son innocence.
Au regard de ce qui se dit sur certains forums de discussion, beaucoup semblent estimer que l'Etat hébreu a des choses à cacher, qu'il craint l'ouverture d'une enquête internationale. Interrogé sur ce point, Benny Dagan, l'ambassadeur d'Israël en Suède, a répondu, excédé :
« Vous savez quoi, j'ai une suggestion à vous faire. Pourquoi ne feriez-vous pas une enquête pour savoir si le Mossad et les Juifs étaient derrière l'effondrement des Twin Towers ? Pourquoi ne ferions-nous pas une enquête pour savoir si les Juifs répandent le sida dans les pays arabes ? Pourquoi ne ferions-nous pas une enquête pour savoir si les Juifs tuent les enfants chrétiens pour préparer les matzot de Pessah ? »
Selon toute vraisemblance, les allégations gratuites qui circulent sur le web selon lesquelles tout un pan de la société israélienne et de la communauté juive dans le monde serait partie prenante d'un vaste complot international visant à dissimuler, depuis cinquante ans, un trafic d'organes prélevés sur des cadavres de Palestiniens ou sur de jeunes Algériens kidnappés dans leur pays ne feront l'objet d'aucune enquête officielle.
Une chose est sûre cependant : ceux qui ont instillé le doute sur ce sujet ont d'ores et déjà atteint leur but.