Résultat: en deux ans, 29 milliards ont été investis dans la banque, qui en vaut aujourd'hui moins de 5. Qui dit mieux?
Sur ces différents épisodes, tous édifiants, l' Autorité des marchés financiers (AMF), le gendarme de la Bourse, a décidé d'ouvrir deux enquêtes. Voilà qui va consoler les épargnants de la première heure: ces veinards avaient acheté les titres 19,55 euros pièce en novembre 2006, lors de la création de la banque d'affaires. Aujourd'hui ils ne valent plus que 1,50 euro. Une perte de 92 %.
Epargnants sous pression
Les actionnaires sont d'autant plus colère qu'ils ont été, voilà deux ans, un peu beaucoup poussés à réaliser une "bonne opération" par les conseillers des Caisses d'épargne et des Banques populaires, les maisons mères de Naxitis, qui détiennent les deux tiers du capital. Aussi les associations de petits porteurs sont-elles submergées de plaintes d'actionnaires affirmant avoir été "harcelés" pour acheter du Natixis. Les conseillers financiers de l'Ecureuil et des Banques populaires n'avaient, à l'époque, pas ménagé leurs efforts: relance par téléphone de leurs clients à domicile, y compris le soir et les jours de fermeture de guichets.
Il faut dire qu'ils encaissaient de confortables primes pour chaque paquet d'actions placé. Dans les agences, des jeux de rôle avaient été organisés pour répéter soigneusement cet argumentaire: " Dans six mois, Natixis figurera parmi les quinze plus grosses capitalisations boursières françaises et, dans trois ans, l'action vaudra 40 euros." En clair, un placement de père de famille, aussi sûr que le Livret A, mais susceptible de rapporter des bonus de trader. Comment résister?
La suite sera moins exaltante. Les dirigeants de Natixis, partagés à parité entre les "bleus" des Banques populaires et les "rouges" des Caisses d'épargne, ne sont jamais parvenus à travailler ensemble. Chacun débarquait avec sa propre équipe, dont les compétences se chevauchaient. Une guéguerre interne qui place la banque en position idéale quand survient la crise, au printemps 2007. "Ce cours n'est pas en rapport avec les réalités", affirme alors Dominique Ferrero, directeur général. Lequel "réfute toute montée des risques". Quant aux subprimes, "c'est, pour nous, une affaire de portée limitée".
Trois semaines plus tard, à en croire ses dirigeants, Natixis est presque au paradis: les subprimes ont été "ramenés à zéro", annonce, le 30 août, un communiqué de la banque. L'enfer de la crise, c'est pour les autres ! Mais la direction de l'établissement oublie de dire qu'elle a refusé, en juin, de vendre CIFG , sa filiale à risque, qui garantit 70 milliards de crédits, dont bon nombre sont pourris, aux Etats-Unis.
Et pourtant il y avait un client, l'assureur US Assured Garanty.
Mais les dirigeants de Natixis ont fait la fine bouche. "Ils étaient persuadés qu'ils en obtiendraient un meilleur prix en attendant un peu", explique aujourd'hui un dirigeant des Banques populaires.
Bien vu: deux mois plus tard, la crise éclate. Personne ne veut plus, évidemment, racheter cette ruine. Natixis, l'Ecureuil et les Banques populaires sont alors obligées de mettre 2 milliards au pot pour éponger les ardoises de CIFG, virtuellement en faillite.
Les petits porteurs "ont été trompés", tempête Fabrice Rémon, président de l'association Deminor. Colette Neuville, dirigeante de l'Association des actionnaires minoritaires, va prochainement porter plainte pour information trompeuse. L' AMF, elle, enquête déjà sur ce qui a été communiqué aux actionnaires.
Méchante initiative
Ces derniers n'en ont pas fini avec la glorieuse épopée de Natixis. En septembre 2008, la banque est contrainte de lancer une augmentation de capital de 3,7 milliards. Une opération qui, elle aussi, a éveillé d'affreux soupçons, et déclenché une seconde enquête de l' AMF. Les nouvelles actions ont été proposées à prix cassé: 2,25 euros, alors que le dernier cours était supérieur à 6 euros! Or ce prix, un certain nombre de privilégiés le connaissaient depuis une quinzaine de jours. En premier lieu, les banques qui ont organisé l'augmentation du capital, parmi lesquelles la BNP, le Crédit suisse, l' UBS, Merrill Lynch ou ING.
Le gendarme de la Bourse se demande si, grâce à cette information, certains initiés n'ont pas massivement spéculé à la baisse. Il leur aurait suffi d'emprunter sur le marché des titres immédiatement revendus alors qu'ils valaient encore 6 euros. Puis de les restituer, quinze jours plus tard, avec des titres rachetés 2,25 euros dans le cadre de l'augmentation de capital. Gérard Rameix, secrétaire général de l' AMF, a déclaré au quotidien "Les échos" qu'ils disposait d' "éléments précis sur des arbitrages forcenés" réalisés par des "grands acteurs" de l'opération.
Vite, des noms !
Article extrait du Canard Enchainé