Une situation qui, perdurant, va entraîner inexorablement la contraction des exportations des pays émergents. Et c’est tout leur modèle économique qui vacille, et avec lui la croissance attendue ces prochains mois. Même en Chine, surtout en Chine. La croissance chinoise repose toujours sur les exportations et les investissements, tandis que la croissance de la consommation des ménages est volontairement freinée. C’est le modèle traditionnel mercantiliste, qui génère d’importants excédents commerciaux. Mais c’est un modèle qui conduit aujourd’hui à une impasse avec le ralentissement de la demande européenne et américaine adressée au reste du monde. En conséquence, la croissance des pays émergents (principalement asiatiques) sera moins brillante et va baisser d’un cran. La dégradation générale du climat des affaires au sein des BRIC n’est donc pas une surprise, ni les piètres performances du 1er trimestre 2012 : à 8,1% (sur un an), la hausse du PIB Chinois est la plus faible enregistrée depuis 3 ans. De son côté l'économie indienne n'a progressé « que » de 5,3% sur la même période (loin des 9% habituellement enregistrés). C’est son plus mauvais score trimestriel depuis 2002-2003. Quant au Brésil, il a dû se contenter d’un maigre 0,8%. La conclusion s’impose, les pays émergents ne seront pas une force motrice suffisante pour tirer l’activité mondiale.
La « drôle » de reprise américaine
Comme après chaque choc, l’économie américaine devait nous surprendre par la vitalité de sa reprise et jouer ainsi de nouveau le rôle de locomotive du monde. Une reprise commandée par une politique monétaire très expansionniste avec pour conséquence de relancer le crédit et donc les composantes de la demande liées au crédit. C’est ce qui devait justifier un nouveau boom de la construction et de l’immobilier, une nouvelle flambée du prix des habitations, une plus grande capacité des ménages à emprunter (pour les banques américaines la capacité d’emprunt d’un individu dépend de la valeur du collatéral mis en gage et non de ses revenus futurs) pour aboutir à un nouvel élan de la consommation. De quoi faire rapidement repartir la machine. Sauf que cet enchaînement appartient désormais au passé. Avec l’éclatement de la bulle immobilière, la faiblesse du marché du logement est devenue chronique et freine la reprise. Et la purge n’est pas encore terminée. A 14%, le taux de vacance (qui est de 7% en France) révèle un niveau de stock de logements inhabités toujours historiquement élevé. Selon la Mortgage Bankers Association, le pourcentage des nouvelles saisies réalisées chaque trimestre reste collé à 1% de l’ensemble des prêts. Et le pourcentage de crédits impayés (c’est-à-dire pour lesquels l’emprunteur n’a effectué aucun remboursement depuis au moins 90 jours) reste élevé malgré un léger repli. C’est le signe que les saisies vont continuer. C’est le signe que le marché immobilier reste grippé. C’est pourquoi notre prévision de croissance est aussi terne pour 2012 (2,1%) que pour 2013 (1,7%).
On comprend aussi mieux pourquoi les Etats-Unis s’efforcent de régénérer leur tissu d’entreprises. L’Etat et les collectivités locales doivent restaurer leurs équilibres financiers. Il ne faudra donc pas compter sur les dépenses publiques pour soutenir la croissance. Les Américains se désendettent et doivent rétablir leur solvabilité. Il ne faudra donc pas non plus compter sur la consommation des ménages. Reste une source de dynamisme potentiel, les entreprises. C’est un tournant à 180°. Mais c’est un fait, les Etats-Unis tentent une nouvelle percée dans l’industrie pour relancer leur croissance. Grace à une profitabilité retrouvée, les entreprises américaines sont reparties à l’offensive à l’extérieur et le « made in US » regagne des parts de marché un peu partout dans le monde. Mais c’est un processus long et la croissance américaine va plafonner aux cours des prochains trimestres.
Zone euro : recherche locomotive désespérément
Baisse de rythme chez les émergents, coup de faiblesse outre-Atlantique, il reste l’Europe en général et la zone euro en particulier pour stimuler la demande mondiale adressée à la France. Nous ne sommes pas loin de la plaisanterie. Car la seule question qui vaille actuellement est de savoir si la zone euro peut encore échapper à la récession. Alors certes, d’un point de vue technique (deux trimestres de suite de recul du PIB), la zone euro n’est pas en récession grâce à son zéro pointé au 1er trimestre, après un 4è trimestre 2011 marqué par un recul de son activité. Mais c’est jouer sur les mots. Sur les 5 principaux clients de la France, 3 sont en récession. Surtout, on ne voit pas comment à court terme la croissance pourrait revenir. Les exigences allemandes d’assainissement accéléré des comptes publics ont entraîné une accumulation des cures d’austérité. Celles-ci ont fini par briser le peu de croissance qu’il restait. Cela rend intenables les engagements en matière de réduction du déficit et de l’endettement. Il devient alors inefficace de durcir encore plus la politique budgétaire, si le résultat est une nouvelle chute de l’activité. La montée du chômage (24% en Espagne, 22% en Grèce, 15% au Portugal) va devenir socialement inacceptable, tandis que les déficits publics resteront élevés. Cette voie de l’écrasement du pouvoir d’achat et de la demande domestique est une impasse. Elle risque de déboucher sur une crise politique et sociale dans les pays concernés. Autant dire que sans l’ajout d’un volet de croissance au pacte européen, la récession va durablement s’installer. Il faut donc soutenir la croissance.
Sous cet angle, la coopération, ou plutôt la bonne volonté de l’Allemagne est indispensable. Car aucun autre pays ne peut se permettre de relancer seul, cela serait suicidaire. Aucun pays n’en a les moyens. Aucun, sauf l’Allemagne, dont tout le monde attend qu’elle accepte enfin de jouer le rôle de locomotive de l’Europe. Une Allemagne qui pourrait utiliser ses marges de manoeuvre budgétaires. Une Allemagne qui lèverait son veto à la mutualisation d’une partie de la dette souveraine. Une Allemagne qui ne s’opposerait plus à l’utilisation des rares moyens d’impulsion encore disponibles en Europe (soutien de la croissance par la BCE et la Banque Européenne d’Investissement). Une Allemagne qui la jouerait plus collectif pour tirer l’ensemble de ses partenaires et donc la France. C’est peut-être le seul – et maigre – espoir du gouvernement de Jean-Marc Ayrault pour éviter d’affronter une violente tempête dès l’automne. Se dévouer pour le reste de la zone euro, c’est peut-être aussi le seul espoir pour l’Allemagne d’éviter de payer cher la conjonction du ralentissement du commerce mondial, la récession en Europe, la crise espagnole et le désastre grec. Mais qui sera capable de convaincre la dame d’acier ?