L'avertissement, lancé en présence du premier ministre tchèque, Jan Fischer, confirme l'exaspération qui gagne les capitales européennes. «Il est dans l'intérêt de la République tchèque de ne pas retarder davantage les choses», a martelé José Manuel Barroso. Il a appelé Prague «à la bonne foi et à une coopération loyale» avec ses partenaires européens.
Le paraphe du président tchèque reste l'ultime mais incontournable obstacle de la course. Dix jours après le «oui» des Irlandais, quatre jours après la signature polonaise, l'espoir est douché d'un dénouement rapide. Pire, les alliés de Vaclav Klaus signalent de nouvelles manœuvres de retardement : ils envisagent d'ajouter d'autres arguments au recours anti-Lisbonne déposé devant la Cour suprême de Brno.
Suspendu au stylo de Vaclav Klaus, le calendrier des réformes européennes ne cesse en parallèle de déraper, y compris pour le choix des deux visages qui incarneront l'UE de l'après-Lisbonne : le président à plein temps du Conseil et le haut représentant, futur «ministre» des Affaires étrangères des 27. Ces nominations emblématiques, prévues pour le sommet européen de fin octobre, pourraient être repoussées à un Conseil extraordinaire en novembre, voire à la mi-décembre, lâchait-on mardi de source diplomatique à Bruxelles. La Commission Barroso II, elle, risque d'attendre le 1er février, ou même le 1er mars, pour voir le jour une fois achevée l'audition par le Parlement de tous les pressentis.
L'impatience européenne grossit, déjà signalée lundi à Paris par le président Sarkozy et le premier ministre bulgare, Boïko Borissov. Mais elle ne fournit pas, pour le moment, d'issue à la crise. Vaclav Klaus, provocateur obstiné, trouvera sans doute dans les remontrances de quoi fourbir son combat personnel contre l'Europe «supranationale» de Bruxelles.
Boîte de Pandore
Une autre question est de savoir jusqu'où il est prêt à aller. Et de lui offrir une porte de sortie honorable, sans bien sûr avoir à rouvrir la boîte de Pandore : toute renégociation du contenu du traité de Lisbonne avec Prague impliquerait à nouveau vingt-sept ratifications, un scénario que José Manuel Barroso décrivait mardi comme «absurde et surréaliste».
Pour engager son combat d'arrière-garde, Vaclav Klaus a choisi un terrain politique miné en République tchèque : il conditionne son paraphe à une garantie européenne prohibant toute restitution des biens des Allemands des Sudètes, confisqués après l'effondrement du IIIe Reich. Pour l'obtenir, il exige que son pays jouisse d'une exemption à la Charte européenne des droits fondamentaux, document intégré au traité de Lisbonne.
Le président Klaus joue sur la hantise, bien ancrée dans la mentalité tchèque, d'hypothétiques procédures judiciaires en restitution venues d'Allemagne, plus de soixante ans après l'éviction. L'argument juridique est un peu mince, la ficelle démagogique un peu grosse. Mais ça marche. À Prague, la majorité de centre droit et l'opposition de gauche prennent d'ordinaire de sérieuses distances avec le président «europhobe». La critique se fait plus rare depuis qu'il a réveillé le spectre des Sudètes. La classe politique tchèque prépare, il est vrai, les législatives de mai.
Le plus affaibli dans l'affaire est Jan Fischer. Partisan d'une ratification rapide, il voulait jouer les bons offices entre Bruxelles et Vaclav Klaus. À ses yeux, le compromis passe par une «déclaration politique» qu'approuveraient les 27 dirigeants européens au sommet d'octobre. Le texte réglerait le point soulevé par le président tchèque, sur le modèle des garanties offertes l'an dernier à l'Irlande. Mais le raidissement en cours risque de réduire le rôle du premier ministre à passer les messages.
Jan Fischer et José Manuel Barroso mardi. Crédits photo : AFP