Même vue du village de pêcheurs d'Ilulissat, le plus gros établissement du Groenland au nord du cercle arctique, cette région polaire semble peu propice aux chamailleries à son sujet : rochers à l'aspect menaçant et désolé, péninsule dénudée et icebergs flottants dans une eau glacée.
Mais depuis août, quand un sous marin russe a placé un drapeau sur le fond de la mer au pôle nord, l'Arctique a tenu le devant de la scène sur les agendas diplomatiques mondiaux. Pas moins de cinq pays font aujourd'hui la course pour réclamer de nouveaux territoires dans l'océan central arctique, où l'on s'attend à ce que les changements climatiques ouvrent de nouvelles routes maritimes, champs pétrolifères et miniers de valeurs.
Le peuple indigène, les Inuits, veut une voix dans le déroulement des négociations
"Pour le salut de mon people et du monde, nous devons développer un processus international formalise qui donnera aux peuples indigènes une importance significative". Ainsi parlait Aggaluk Lynge, président du chapitre du Groenland du Conseil Circumpolaire Inuit (ICC), à une assemblée de politiciens et scientifiques, "Ou bien, nous pourrions aussi bien être jetés dans la glace en train de fondre."
M Lynge est depuis longtemps l'avocat de son people, les Inuits, qui ont vécu dans l'arctique depuis des milliers d'années. Autrefois appelés eskimos – un mot de la langue des indiens Cree, considéré aujourd'hui comme péjoratif – Les Inuits sont aujourd'hui 160 000 qui vivent en Alaska, dans les territoires du Nord du Canada, à la partie la plus à l'est de la Russie et au Groenland, territoire Danois où ils jouissent d'une large autonomie.
Depuis 30 ans, ils ont utilise l'ICC pour établir des liens entre eux et porter leur voix dans les capitales du sud qui gouvernent leurs terres natales. Depuis les années 1980, ils ont prêché pour que l'Arctique central soit déclaré zone démilitarisée, comme l'Antarctique l'est, et pour une libre circulation parmi les peuplades Inuit.
Quand le réchauffement climatique a commencé à affecter leurs communautés, le président de l'ICC de l'époque, Sheila Watt-Cloutier d'Iqaluit, Canada, a voyagé autour du monde, participant à des conférences sur les changements climatiques pour attirer l'attention sur leur situation et a même engagé des poursuites contre les Etats-Unis pour la destruction de leur terre en ne maitrisant pas leurs émissions de gaz à effet de serre, en février. Elle a même fait partie des nominés pour le prix Nobel de la paix de cette année.
Aujourd'hui, les Inuits veulent faire entendre leur voix sur le futur du basin Arctique, 2 millions de kilomètres carrés que la Russie, le Canada, le Danemark la Norvège et les USA souhaitent se partager entre eux, arguant que leurs côtes respectives leur donnent des droits sur la zone.
Le président de l'ICC pour le Canada, Duane Smith, à Inuvik, déclare "Les Inuit ont vécu en Arctique depuis très très longtemps, et nous devrions avoir un rôle à jouer sur ce qui arrive. Nous sommes ceux qui vivent ici, et tout impact dangereux pour la région aura un effet sur notre mode de vie et notre culture."
Bien que personne n'habite les régions disputées autour du pôle, les leaders Inuit prétendent que les activités en préparation affecteront leurs communautés, dont certaines sont à quelques centaines de miles. Un trafic maritime accru sur le pole ou à travers le passage Nord-Ouest pourrait briser la couverture de glace et les habitudes migratoires des animaux sur lesquels comptent les chasseurs. Les rivalités militaires pourraient signifier que plus de terre serait dévolues aux bases navales et aériennes, ce qui par le passé a déjà laissé des traces de dégradation dans l'environnement et la culture. Enfin, il y a la possibilité de marées noires, si du pétrole est effectivement découvert.
Nous avons déjà eu l'expérience de l'Exxon Valdez, et nous avons vu les dégradation que cela a entraîné pour nos communautés en Alaska" dit le président de lICC Alaska, Patricia Cochran, à Nome. "Nous sommes concernés par une augmentation de trafic de pollution et de visiteurs."
Certains appellent le monde à prendre une inspiration, faire un pas en arrière et éventuellement envisager de protéger la région par un traité international.
Selon Lynge, "L'un des buts de l'ICC est de mettre l'Arctique hors de portée des mains militaires et d'encourager une utilisation pacifique du pole. Nous pourrions peut-être penser en faire une sorte de "sanctuaire de la paix" dont tous tireraient bénéfice."
Si les revendications avancent, alors les Inuit du Groenland vont certainement réclamer une part du gâteau. Ils constituent 90% des 56 000 habitants du Groenland, où ils contrôlent le gouvernement local et où le groenlandais est la langue officielle. Le Danemark a ouvert la porte à l'indépendance du Groenland – la viabilité économique de l'île est le seul point noir – et s'attend à ce que toute revendication polaire revienne en fin de compte au Groenland lui-même.
"Nous lançons une revendication uniquement au nom des groenlandais" qui hériterons de tout territoire Arctique danois après leur accession à l'indépendance, a déclaré Svend Auken, ancien ministre de l'énergie et homme politique danois.
Alega Hammond, ministre des finances et des affaires étrangères du gouvernement local ne nourrit aucun doute : "Les russes sont venus et ont planté un drapeau sous le pole, mais tout un chacun sait qu'il appartient au Groenland. La dernière terre avant le pole est groenlandaise"